Un soir de blues intense, celui qui caractérise les situations bloquées, celui des désirs inassouvis, celui de l'adolescent auquel se refuse l'âge adulte, bref, un soir où l'on se traine les mains dans les chaussettes, avec un sax récemment loué en bandoulière, un gars au regard rieur, déjà tout un programme, me lance, devant la porte du Caveau de la Montagne: "Dis donc, t'es musicien? Tu viens faire le boeuf?

Ce soir-là, ma vie a pris une direction que j'espèrais sans y croire. Ce genre de personne est malheureusement plus rare que le crétin parisien habituel, agressif, hableur, étroitement satisfait de l'embarras d'autrui qu'il s'empresse de qualifier de "blaireau".

François, c'est bien de lui qu'il s'agit, est fondamentalement un passeur, un accoucheur, un gage de réussite, un bonheur d'humain. Jazzman exigeant, il a toujours privilégié les valeurs de base que sont le tempo et l'esprit du blues, sans lesquelles le jazz n'est que compétition vaine et creux bavardages.

Flanqué de Christian Ponard, un pur, un amoureux, comme lui, et d'une rythmique modèle "Rhythm is Our Business", le voilà parti à la reconnaissance des émois premiers, à tous les sens du terme, à la recherche de l' adolescence jamais vraiment perdue, à la traque de la beauté, simple et belle.

Alternant les hommages aux monuments que sont John Lee Hooker, Big Bill Broonzy, Lightnin Irlopkins, Freddie King ou Ray Charles, avec des originaux souvent malicieux, François et ses potes vont réussir, là où beaucoup n'auraient livré au mieux qu'un "copié-collé" d'un intérêt limité, à régaler l'amateur, le gourmet et même l'archiviste que vous êtes, sans doute, par leur fraîcheur, leur swing, leur naturel, en un mot comme en mille, par la vérité de leurs sentiments.

Unique est la longueur du son de François, unique est la voix de Christian et son scat est savoureux; unique est la petite touche manouche de ces bluesmen torrides, modestes et géniaux, unique est le BLUES DE PARIS.

DANIEL HUCK